jeudi 29 novembre 2012

La grippe coloniale


















   
     Deux albums forts pour une histoire passionnante et émouvante, un véritable succès pour Serge Huo-Chao-Si et Appollo. Le premier tome, Le retour d'Ulysse, est paru en octobre 2003, et le second, Cyclone la Peste (prévu dès le départ), est sorti en juin dernier; tous deux chez Vents d'Ouest. Neuf ans d'attente, et on regrette tout de même que l'histoire soit finie, c'est dingue.


     Le récit commence par une fin, celle de la Première Guerre mondiale, et du retour au pays de 1600 soldats épuisés et estropiés. Nous sommes sur l'île de La Réunion, fin mars 1919. Leur arrivée est célébrée, les hommes s'attendent à être considérés comme des héros... mais beaucoup ne retrouvent que la solitude et la pauvreté. Quatre hommes sont pourtant liés par une amitié qui dépasse les diversités sociales et raciales, et leurs retrouvailles sont fêtées au bordel de Saint-Denis, "Chez Mam'zelle Paula". Il s'agit d'Evariste Hoarau dont le comportement à la guerre commence à se savoir sur l'île, Grondin dit "Baraka" qui a changé vingt fois de compagnies, Camille de Villiers l'aristo défiguré par des obus, et pour finir, Voltaire, devenu tirailleur sénégalais à cause de sa couleur de peau.




     Les quatre hommes vont donc suivre des objectifs différents, comme le mariage, la recherche d'un travail, la reconnaissance publique ou simplement le plaisir, dans le but de reprendre une vie normale. Evariste trouve un emploi d'ambulancier-coursier-chauffeur à l'hôpital et occupe une chambre au-dessus de l'épicerie de sa soeur et de son mari, quand Voltaire essuie un violent refus lorsqu'il désire intégrer les forces de police. Camille se marie, mais sa femme ne le désire pas; son destin le mènera vers d'autres plaisirs. Grondin, quant à lui, se contente des plaisirs simples de la chair et de l'alcool, l'heureux homme.
     Mais ce tranquille quotidien est bouleversé par quelques décès suspects, que le docteur Souprayen attribue à la grippe espagnole qu'il soupçonne avoir été amenée par le retour des poilus... Il tente d'avertir le gouverneur, qui ne prend aucunement son discours au sérieux.



     Pourtant, la maladie est bien là. Elle envahit peu à peu l'île, les colons se barricadent dans leurs maisons, laissant leurs morts devant la porte. Maladie, famine, lâcheté et cruauté des voisins qui cherchent des boucs-émissaires... Résignation ou lutte pour s'en sortir, le sort des quatre hommes dépend de leurs actions face à cette grippe coloniale dont les autorités ne possèdent pas de remède. Les habitants terrifiés cherchent seuls des solutions, abandonnés par le gouvernement en place. Beaucoup d'entre eux fuient vers les montagnes, quittant une Saint-Denis dévastée, où des atrocités surviennent au coin d'une rue ou à l'arrière des maisons. En ville, la décision de prodiguer des soins et d'enterrer les cadavres doit être prise... Des remises de peine sont ainsi proposées aux forçats contre de dangereux travaux... Dévouement, sacrifice, aveuglement, chaque personnage joue son rôle et risque sa vie, affrontant même volontairement la mort pour accomplir sa destinée.


     Ces moments de crise sont aussi l'opportunité pour les personnages de se confesser et de partager leurs souvenirs, ceux qui concernent cette guerre atroce dont ils ont survécu. Échappés de cette mort massive et absurde sur le continent, ils voient périr sur l'île leurs proches, de cette mort lente et inéluctable, dont eux-mêmes sont certainement condamnés. Mais ces instants de douleurs et de doutes sont aussi l'ultime chance de connaître l'amour, l'un dans les bras d'une guérisseuse au doux sourire,  l'autre dans ceux d'une veuve courageuse et combative.
     La fin de toutes ces souffrances viendra finalement, avec son lot de vengeances et de patriotisme abject, dans une colonie où les souvenirs et les fantômes des disparus rôdent parmi les rescapés.

     Les deux auteurs, amis réunionnais, ont su faire vibrer le lecteur au son de ce récit historique au scénario impeccable et au style affirmé, libre et puissant. Un grand moment, une nécessité.

2 commentaires:

  1. En tant que québécoise colonisée par les anglais, c'est un titre qui me parle. Il y a assurément des bijoux dans ces livres. Chaque pays qui ont vécus la colonisation porte des stigmates très profondes.

    Merci de ce partage.

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    1. Ah! Ce titre te parle, oui! Si tu as l'occasion de le lire, n'hésite pas à me donner ton avis!

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